Décryptage

« Trois stratégies pour décarboner le transport aérien »

Ingénieur expert au service Transports et Mobilité de l’ADEME, Marc Cottignies a piloté une étude prospective qui analyse les différentes pistes de transition écologique du secteur aérien à l’échelle nationale. Objectif : accompagner ce secteur dans la réduction de ses émissions de CO2.
Le point avec Marc Cottignies, ingénieur expert au service Transports et Mobilité de l’ADEME.


Dans quel contexte a été réalisée cette étude ?
Marc Cottignies 

En 2018, l’ADEME avait publié un bilan des programmes d’action des principaux aéroports français, aux échéances de 2020 et 2025. Nous avions conclu qu’il faudrait poursuivre ce travail en élargissant le périmètre d’étude aux activités aériennes, et mettre en débat le développement du trafic aérien. D’où cette nouvelle étude publiée en septembre 2022 après 21 mois de travaux, qui présente trois stratégies de décarbonation du transport aérien pour une période qui s’étend de 2020 à 2050.

Pourquoi cette échéance ?
M. C. 

De nombreux travaux de prospective se calent sur cet horizon, à commencer par lles scénarios Transition(s) 2050 de l’ADEME, mais aussi la Stratégie nationale bas carbone, qui prévoit la neutralité carbone en 2050. Cette date est donc celle à laquelle nous devons cesser d’avoir un impact négatif sur le climat. Pour l’aérien, cette vision à 30 ans est d’autant plus pertinente que certaines innovations mettront du temps pour aboutir puis se diffuser dans les flottes. En effet, les avions restent en service pendant 20 à 25 ans environ et le développement et l’intégration de technologies nouvelles, comme l’hydrogène, n’aboutiront pas avant la prochaine décennie.

Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?
M. C.

Nous présentons 3 scénarios de décarbonation du secteur aérien, associés à 5 leviers d’action : l’amélioration de l’efficacité énergétique, la baisse de l’intensité carbone de l’énergie consommée, l’augmentation du remplissage des avions, le report modal (choix d’un autre moyen de transport) et la réduction du niveau de trafic. Le premier scénario mise sur l’ensemble des solutions technologiques, le second repose essentiellement sur une modération du trafic et le recours aux carburants durables, et enfin le troisième combine tous les leviers. Les résultats font notamment ressortir que le cumul des émissions sur la période 2020-2050 est bien inférieur dans le deuxième scénario.

Comment parvenir à modérer le trafic ou la croissance du trafic ?
M. C.

Il y a potentiellement des moyens réglementaires, des outils de taxation, mais aussi des mesures incitatives. À l’ADEME par exemple, nous avons mis en place un bonus climatique, une prime versée aux budgets des services dont les salariés évitent de prendre l’avion, même pour les trajets de plus de 4 heures en train. Notre étude fait un constat complémentaire : l’intégration de carburants aériens durables induira un surcoût significatif des billets qui aura pour effet une baisse relative de la demande et donc du trafic. Nous avons évalué cet impact à une diminution de 15 à 19 % du niveau de trafic en 2050. Même s’il a été observé cet été en France une augmentation du trafic voyageurs en dépit d’une hausse importante des prix du billet, il est attendu que, sur le long terme, la hausse des prix va conduire à une baisse relative de la demande.

Comment réagissent les acteurs du secteur aérien ?
M. C.

Lors du sommet européen de l’aviation qui s’est tenu à Toulouse en février 2022, ils se sont engagés à atteindre la neutralité carbone en 2050 en améliorant les opérations au sol et en vol, en favorisant les carburants durables et en développant de nouvelles technologies. Ils ont aussi recours à la compensation. Pour réaliser notre étude, qui s’appuie aussi sur une revue de plus de 200 références bibliographiques, nous avons rencontré et consulté les principaux acteurs français de l’aérien : gestionnaires d’aéroports, compagnies aériennes, fédération nationale de l’aviation et de ses métiers, direction de l’aviation civile… Nous avons ainsi pu leur soumettre les éléments et résultats tout au long de l’étude et prendre en compte leurs observations.

Quelles sont les suites escomptées ?
M.C.

La France s’est fixé, en 2003, l’objectif dit du « facteur 4 » : diviser par 4 nos émissions nationales de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 ; puis en 2019 cet objectif a été renforcé et transformé en objectif de neutralité carbone (équivalent à une division par 6). Pour ce qui est du transport aérien français, ses émissions ont augmenté de 85 % entre 1990 et 2019. Cette étude souhaite alimenter la réflexion sur la décarbonation du secteur aérien et éclairer la décision publique. L’article 301 de loi Climat et Résilience demande aux acteurs économiques de prendre des engagements pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Le plan de sobriété énergétique lancé le 23 juin 2022 prévoit pour tous les secteurs d’activité une réduction de 10 % de la consommation d’énergie sur les deux prochaines années. Dans ce contexte, il nous semble légitime et cohérent de traiter la question de la réduction relative ou absolue du trafic aérien, sans a priori. Cela suppose d’en étudier rapidement les impacts socio-économiques et les modalités concrètes de mise en œuvre.

24,2 millions

de tonnes de CO2 ont été directement émises en France en 2019 par le secteur aérien.

85 %

de hausse par rapport à 1990.

5,3 %

des émissions globales de la France sont liées à l’aérien, soit 2,2 fois plus qu’il y a 30 ans.